La Rédaction
Démocratie Participative
\n08 juin 2025
La cosmogonie proto-aryenne désigne l’ensemble des croyances sur l’origine du cosmos, des divinités, des humains et de l’ordre social des peuples proto-aryens, une population ayant vécu entre 4500 et 2500 av. J.-C., principalement dans la steppe pontique, une région s’étendant de l’actuelle Ukraine au sud de la Russie. Ces peuples, associés à la culture archéologique Yamnaya (3300-2600 av. J.-C.), sont considérés comme les ancêtres linguistiques et culturels de nombreuses civilisations indo-européennes, des Indo-Iraniens aux Grecs, Romains, Celtes, Germains, Baltes et Slaves. En l’absence de textes écrits, leur cosmogonie est reconstituée par la méthode comparative, qui analyse les mythologies des cultures indo-européennes ultérieures, et par des découvertes archéologiques, notamment les kourganes, stèles, et artefacts rituels.
Partie 1 : Les Motifs Cosmogoniques – Chaos, Séparation, Sacrifice et Conflit
Les Aryens concevaient l’univers comme émergeant d’un processus dynamique, où l’ordre cosmique et social était établi par des actes de séparation, de sacrifice et de combat. Ces motifs, bien que non attestés directement, sont déduits de parallèles dans les mythologies indo-européennes et corroborés par des indices archéologiques. La méthode comparative, développée par des chercheurs comme Georges Dumézil, Bruce Lincoln et Jaan Puhvel, permet de reconstruire ces croyances en identifiant des structures narratives communes dans des textes comme le Rigveda indien, la Théogonie grecque, l’Edda nordique, l’Avesta iranien, et des fragments celtiques, baltes et slaves. Les sites archéologiques de la steppe pontique, tels que Mikhailovka, Kernosovka et Repin, fournissent un contexte matériel, avec des kourganes, des stèles anthropomorphes, et des restes d’offrandes sacrificielles.
Le Chaos Primordial : Un Univers en Germe
La cosmogonie proto-aryenne commence par un état de chaos primordial, un espace indifférencié où ni le ciel, ni la terre, ni les autres éléments du cosmos n’existent en tant qu’entités distinctes. Ce concept est reconstitué à partir de sources textuelles indo-européennes ultérieures. L’une des expressions les plus claires se trouve dans le Rigveda (10.129, Nasadiya Sukta), un hymne spéculatif composé vers 1200 av. J.-C. en Inde védique. Il décrit cet état initial : « Il n’y avait ni l’être ni le non-être alors, ni espace aérien, ni ciel au-delà. Qu’est-ce qui se mouvait ? Où ? Sous la garde de qui ? Y avait-il une eau profonde, insondable ? » (Rigveda 10.129.1-2, trad. Louis Renou, 1956, Hymnes spéculatifs du Veda). Ce texte, bien que tardif par rapport à la période proto-aryenne, reflète une méditation sur un vide pré-cosmique, un état de potentialité où les forces de l’univers sont en latence.
Un parallèle nordique apparaît dans l’Edda de Snorri (Gylfaginning, chapitre 4), rédigée au 13e siècle mais basée sur des traditions orales plus anciennes. Elle décrit Ginnungagap, un abîme béant entre le feu de Muspellheim et la glace de Niflheim : « Il n’y avait ni sable, ni mer, ni vagues froides, ni terre, ni ciel en haut, mais un abîme béant » (Gylfaginning, trad. François-Xavier Dillmann, 1991). Bruce Lincoln (1986, Myth, Cosmos, and Society: Indo-European Themes of Creation and Destruction) postule que ce motif d’un chaos primordial est un héritage proto-aryen, reflétant une vision où le cosmos naît par un processus de différenciation structurante.
Edda de Snorri
Dans la Théogonie d’Hésiode (8e siècle av. J.-C.), le Chaos est une entité primordiale, un gouffre d’où émergent Gaia (terre), Tartare et Éros : « D’abord fut Chaos, puis Gaia au large sein, siège éternel de tout ce qui existe » (Théogonie, v. 116-118, trad. Paul Mazon, 1928). Bien que ce récit grec intègre des influences mésopotamiennes, comme le mythe babylonien de l’Enuma Elish (où le chaos est incarné par Tiamat), la notion d’un vide initial est cohérente avec les traditions proto-aryenne. Martin West (2007, Indo-European Poetry and Myth) note que ce motif d’indifférenciation est universel mais prend une forme spécifique dans les cultures aryennes, où il est suivi d’une séparation cosmique.
Les découvertes archéologiques de la culture Yamnaya (3300-2600 av. J.-C.), associée aux Proto-Aryens, offrent un contexte matériel. Les kourganes, tombes en tumulus disséminées dans la steppe pontique, contiennent des indices de rituels liés à la création ou à la régénération cosmique. Par exemple, le site de Mikhailovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.) a révélé des autels en pierre entourés de restes d’animaux sacrificiels, notamment des bœufs et des chevaux, dont les os étaient disposés de manière intentionnelle (Anthony, 2007, The Horse, the Wheel, and Language).
Un kourgane avec un cercle de pierres (cromlech) découvert dans le village de Novooleksandrivka près de Dnipro, en Ukraine, datant d’environ 5500 ans.
Ces pratiques pourraient refléter une vision du chaos primordial comme un état nécessitant un sacrifice pour établir l’ordre. Les stèles anthropomorphes de Kernosovka (Ukraine, 5000 ans), ornées de motifs solaires, suggèrent un culte des forces célestes émergentes du chaos.
La Séparation Ciel-Terre : L’Acte Fondateur
Un motif central de la cosmogonie proto-aryenne est la séparation du ciel et de la terre, incarnée par un couple primordial : Dyeus Pəter (« Père Ciel ») et Dheghom (« Mère Terre »). Cette séparation, souvent violente, crée l’espace cosmique où les autres éléments du monde prennent forme. Le couple est attesté dans plusieurs traditions indo-européennes, démontrant la profondeur de ce motif.
Dans le Rigveda, Dyauṣ (ciel) et Pṛthivī (terre) sont invoqués comme les parents du cosmos : « Ô Dyauṣ et Pṛthivī, vous qui êtes vastes et féconds, soutenez les mondes par votre puissance » (Rigveda 6.70.1, trad. Renou, 1956). Leur union initiale, suivie d’une séparation, est implicite dans les hymnes, où ils sont décrits comme des entités distinctes mais complémentaires. Jaan Puhvel (1987, Comparative Mythology) soutient que cette séparation reflète une vision proto indo-européenne où l’ordre cosmique (ṛta, l’harmonie universelle en védique) naît d’un acte structurant.
Un parallèle grec se trouve dans la Théogonie d’Hésiode, où Ouranos (ciel) et Gaia (terre) forment le couple primordial. Leur séparation est violente : Cronos, fils de Gaia, mutile Ouranos avec une faucille, libérant l’espace cosmique (Théogonie, v. 176-182). Ce conflit, bien que dramatisé, est cohérent avec le motif proto-aryen. Dans les textes hittites, influencés par les traditions proto-aryennes, le dieu céleste Anu est séparé de la terre par Kumarbi, qui le castre dans un récit parallèle (Chanson de Kumarbi, 14e siècle av. J.-C., trad. Hoffner, 1998, Hittite Myths).
Les racines linguistiques renforcent cette reconstitution. Dyeus Pəter (dyew-, « ciel », pəter-, « père ») est à l’origine de Zeus (grec, accusatif Día), Jupiter (latin, Dyu-piter), Dyauṣ (védique), et Týr (nordique, bien que son rôle soit réduit). Dheghom (dhegh-, « terre ») apparaît dans Pṛthivī (védique), Gaia (grecque), et Jörð (nordique). Ces correspondances, analysées par Émile Benveniste (1969, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes), confirment l’ancienneté du motif.
Zeus, 2 100 ans, Italie
Les fouilles archéologiques de la culture Yamnaya fournissent des indices matériels. Les stèles de Kernosovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), hautes de 1 à 2 mètres, représentent des figures anthropomorphes avec des motifs solaires et célestes, possiblement liés à Dyeus Pəter. David Anthony (2007) suggère que ces stèles marquaient des lieux de culte où des rituels de séparation cosmique étaient célébrés. À Repin (Russie, 3200 av. J.-C.), des kourganes contiennent des dépôts de chevaux sacrifiés, dont les crânes sont orientés vers le ciel, peut-être en hommage à la divinité céleste. Ces pratiques, bien que spéculatives, évoquent une cosmogonie où le ciel et la terre sont distingués par des actes rituels.
Le Sacrifice du Géant Primordial : La Création par Démembrement
Un motif fondamental de la cosmogonie proto-aryenne est le sacrifice d’un être primordial, dont le corps devient les éléments du monde. Bruce Lincoln (1986) propose une reconstruction basée sur deux figures : Manu (« homme », le prêtre ou roi) et Yemo (« jumeau », le premier mortel). Manu sacrifie Yemo pour créer le cosmos, un récit qui établit à la fois l’ordre cosmique et social.
Ce motif est particulièrement clair dans le Rigveda (10.90, Purusha Sukta), daté d’environ 1200 av. J.-C. : « Purusha, l’homme cosmique, fut sacrifié par les dieux. De son esprit fut fait la lune, de son œil le soleil, de sa bouche Indra et Agni, de son souffle le vent » (Rigveda 10.90.13). Son corps forme aussi les classes sociales : « Sa bouche devint le brahmane, ses bras le kshatriya, ses cuisses le vaishya, de ses pieds naquit le shudra » (Rigveda 10.90.12). Ce texte lie la cosmogonie à la structure sociale, un concept central dans la théorie trifonctionnelle de Georges Dumézil (1958, L’Idéologie tripartie des Indo-Européens), qui divise la société proto indo-européenne en trois fonctions : souveraineté (prêtres), guerre (guerriers), et fertilité (producteurs).
Un parallèle nordique se trouve dans l’Edda de Snorri (Gylfaginning, ch. 8), où le géant Ymir est tué par Odin, Vili et Vé : « De son sang ils firent les mers et les lacs, de sa chair la terre, de ses os les montagnes, de son crâne le ciel » (Gylfaginning, trad. Dillmann, 1991). Ce récit, bien que tardif, partage des parallèles structurels avec Purusha. Dans la tradition iranienne, l’Avesta mentionne Yima, lié à Yemo, comme le premier roi et mortel (Yasna 9.4), mais le sacrifice est atténué en raison des réformes zoroastriennes, qui rejettent les pratiques sanglantes.
Lincoln (1986) argue que ce sacrifice reflète une vision proto-aryenne où la création nécessite un acte violent mais nécessaire. Le démembrement de l’être primordial établit non seulement le cosmos mais aussi la hiérarchie sociale, les prêtres et guerriers étant issus des parties supérieures du corps. Ce motif est également présent dans des traditions mineures, comme le mythe slave de Jarilo, où un dieu est associé à la mort et à la régénération, bien que les sources soient fragmentaires.
Les découvertes archéologiques corroborent ce motif. À Mikhailovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), les fouilles ont révélé des autels en pierre entourés d’ossements de bœufs et de chevaux, disposés de manière rituelle, suggérant des sacrifices liés à la création cosmique. Les kourganes de Repin (Russie, 3200 av. J.-C.) contiennent des restes d’animaux avec des crânes brisés, possiblement en écho au démembrement mythique. Les stèles anthropomorphes de la steppe, comme celles de Novoalexandrovka (Ukraine, 3100 av. J.-C.), montrent des figures avec des attributs de guerriers ou de prêtres, peut-être des représentations de Manu ou des officiants du sacrifice.
Le maintien de l’ordre cosmique
Georges Dumézil
Selon Dumézil, les sociétés indo-européennes étaient structurées autour de trois fonctions principales dont ils avaient pris conscience :
- Première fonction : la souveraineté, associée à la sagesse, au sacré et au pouvoir spirituel/politique.
- Deuxième fonction : la force guerrière, liée aux guerriers et à la protection.
- Troisième fonction : la fécondité et la prospérité, incarnée par les agriculteurs et artisans.
La souveraineté correspond donc à la première fonction, qui se divise en deux aspects complémentaires :
- Souveraineté sacrée (ou magique) : Liée à la dimension spirituelle, à la justice, à la sagesse et au lien avec le divin. Elle est incarnée par des figures comme des prêtres-rois ou des divinités associées à l’ordre cosmique (ex. : Varuna dans la mythologie védique, ou Jupiter chez les Romains).
- Souveraineté juridique/politique : Liée à l’autorité terrestre, à la gouvernance et à l’organisation sociale. Elle est représentée par des figures comme des chefs ou des divinités protectrices du contrat social (ex. : Mitra dans le védisme, ou Tyr chez les Germains).
Dans les panthéons indo-européens, la souveraineté est souvent incarnée par des divinités ou des héros qui maintiennent l’ordre cosmique et social.
Dans le védisme (Inde ancienne), Varuna représente la souveraineté sacrée, avec son pouvoir sur l’ordre cosmique et moral (ṛta), tandis que Mitra incarne la souveraineté contractuelle, liée aux alliances et à la justice.
Dans la mythologie nordique, Odin combine des aspects de souveraineté sacrée (sagesse, magie, inspiration poétique) et Tyr représente la souveraineté juridique (justice, sacrifice pour l’ordre).
Chez les Romains, Jupiter symbolise la souveraineté divine et l’autorité suprême, tandis que des figures comme Numa Pompilius (roi légendaire) incarnent la souveraineté sacrée dans un contexte humain.
La souveraineté, dans ce contexte, ne se limite pas au pouvoir politique brut, mais inclut une responsabilité spirituelle et morale. Les figures souveraines (divinités ou rois) sont des médiateurs entre le monde humain et le divin, garantissant l’harmonie de la société et sa conformité avec l’ordre cosmique. Cette idée se retrouve dans des concepts comme le rex (roi sacré) chez les Romains ou le rājan (roi) dans les textes védiques.
La Guerre Cosmique : L’Ordre contre le Chaos
Un autre motif clé est le conflit entre les forces de l’ordre (dieux célestes) et du chaos (serpents, géants). Ce thème, répandu dans les mythologies indo-européennes, reflète une vision où l’ordre cosmique est maintenu par la victoire divine. Dans le Rigveda (1.32), Indra, dieu guerrier, tue le serpent Vṛtra, qui retient les eaux cosmiques : « Il frappa le serpent dans sa tanière, libérant les eaux comme des vaches mugissantes » (Rigveda 1.32.1). Ce combat, daté d’environ 1200 av. J.-C., établit la fertilité et l’ordre.
Un parallèle grec est le combat de Zeus contre Typhon dans la Théogonie : « Zeus lança ses éclairs, et Typhon, frappé, s’effondra sous la terre » (Théogonie, v. 853-856). Dans la mythologie nordique, Thor affronte Jörmungandr, le serpent cosmique, dans un combat eschatologique (Edda poétique, Hymiskviða). Martin West (2007) note que le serpent ou dragon est un symbole récurrent du chaos dans les traditions proto-aryen, représentant les forces primordiales qui menacent l’harmonie.
Thor affrontant Jörmungandr
Ce motif pourrait refléter des préoccupations comme la maîtrise des eaux dans la steppe pontique, une région sujette aux inondations. Les pétroglyphes de Tamgaly (Kazakhstan, 2000 av. J.-C.), associés à la culture Sintashta (successeure de Yamnaya), montrent des figures combattant des créatures serpentiformes, possiblement des illustrations de ce conflit cosmique. Les fouilles de Sintashta (Russie, 2100-1800 av. J.-C.) ont révélé des autels sacrificiels et des chars, suggérant des rituels liés à des divinités guerrières comme Perkʷunos (dieu de l’orage), équivalent d’Indra et Thor.
Partie 2 : Les Divinités et Leurs Rôles dans la Cosmogonie
Les Proto-Aryens ayant vécu il y entre 6500 et 4500 av. J.-C. dans la steppe pontique (actuelle Ukraine et sud de la Russie), ont développé une cosmogonie où les divinités jouent un rôle central dans la création et l’organisation du cosmos. Associés archéologiquement à la culture Yamnaya (3300-2600 av. J.-C.) par des chercheurs comme David W. Anthony (2007, The Horse, the Wheel, and Language), les Proto-Aryens n’ont laissé aucun texte écrit, rendant la reconstitution de leur panthéon dépendante de la méthode comparative et des indices archéologiques. Cette méthode, affinée par Georges Dumézil, Bruce Lincoln, Jaan Puhvel, et Martin West, analyse les mythologies des cultures indo-européennes ultérieures (védique, grecque, nordique, romaine, iranienne, celtique, balte, slave) pour identifier des divinités et des fonctions communes.
Les découvertes archéologiques, notamment les kourganes, stèles anthropomorphes, figurines, et offrandes rituelles des sites comme Mikhailovka, Kernosovka, Repin, et Sintashta, ancrent ces figures divines dans un contexte matériel. Cette partie explore les principales divinités de la cosmogonie proto-aryenne – Dyeus Pəter (Père Ciel), Dheghom (Mère Terre), Perkʷunos (dieu de l’orage), H₂éwsōs (déesse de l’aurore), et les jumeaux Manu/Yemo – et leurs rôles dans la création, en s’appuyant sur les textes, les parallèles linguistiques, et les vestiges archéologiques.
Les Divinités Cosmogoniques : Architectes de l’Univers Proto-Aryen
La cosmogonie proto-aryenne attribue aux divinités des rôles spécifiques dans l’émergence du cosmos, de la séparation initiale du chaos à l’établissement de l’ordre social. Ces figures, reconstituées à partir de parallèles linguistiques et mythologiques, incarnent des aspects fondamentaux de l’univers – ciel, terre, orage, aurore, sacrifice – et reflètent une vision où la création est un acte collaboratif, souvent conflictuel. Les artefacts des cultures Yamnaya et Sintashta, successeure des Proto-Aryens, suggèrent que ces divinités étaient célébrées dans des rituels complexes, impliquant des sacrifices d’animaux et des représentations symboliques.
Dyeus Pəter : Le Père Ciel, Souverain de l’Ordre Cosmique
Au sommet du panthéon proto-aryen se trouve Dyeus Pəter, le « Père Ciel », une divinité souveraine associée à la lumière, à l’ordre cosmique, et à l’autorité. Son nom, reconstitué à partir de la racine proto-indo-européenne dyew- (« ciel, briller ») et pəter- (« père »), est attesté dans de nombreuses traditions indo-européennes. Émile Benveniste (1969, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes) souligne que cette racine linguistique relie des figures comme Zeus (grec, accusatif Día, de dyew-), Jupiter (latin, Dyu-piter), Dyauṣ (védique, Rigveda 1.90.7), et Týr (nordique, bien que son rôle soit réduit dans les sources tardives). Dans la cosmogonie proto-aryenne, Dyeus Pəter est le partenaire de Dheghom (Mère Terre) et joue un rôle clé dans la séparation ciel-terre, un acte qui crée l’espace cosmique.
Jupiter, Saint-Pétersbourg
Dans le Rigveda (composé vers 1200 av. J.-C.), Dyauṣ est invoqué comme le père céleste : « Ô Dyauṣ, père des mondes, toi qui soutiens le ciel et répands la lumière » (Rigveda 1.90.7, trad. Louis Renou, 1956). Bien que son rôle dans les hymnes védiques soit moins proéminent que celui d’Indra ou Agni, il incarne la souveraineté céleste, surveillant l’ordre cosmique (ṛta). Dans la Théogonie d’Hésiode (8e siècle av. J.-C.), Ouranos, équivalent grec de Dyeus Pəter, est le ciel primordial qui s’unit à Gaia avant d’être séparé par Cronos : « Ouranos couvrait Gaia de son ombre, mais Cronos, armé d’une faucille, le trancha » (Théogonie, v. 178-180, trad. Paul Mazon, 1928). Ce récit, bien que teinté d’influences mésopotamiennes, reflète le motif proto-aryen de la séparation.
Georges Dumézil (1973, Le Destin du guerrier) place Dyeus Pəter au sommet de la première fonction trifonctionnelle – la souveraineté –, où il représente la justice et l’autorité divine. Sa position de « père » suggère une hiérarchie patriarcale, cohérente avec la structure sociale proto-aryenne reconstituée à partir des kourganes, où les tombes masculines dominantes contiennent des armes et des symboles de pouvoir. Les stèles anthropomorphes de Kernosovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), découvertes dans des kourganes de la culture Yamnaya, montrent des figures masculines avec des motifs solaires – cercles gravés ou disques – qui pourraient représenter Dyeus Pəter ou une divinité céleste associée. David W. Anthony (2007) note que ces stèles, souvent placées au sommet des tumulus, marquaient des lieux de culte où des rituels en l’honneur du ciel étaient pratiqués. À Repin (Russie, 3200 av. J.-C.), des kourganes contiennent des dépôts de crânes de chevaux orientés vers le ciel, possiblement des offrandes à Dyeus Pəter, symbolisant sa domination sur le cosmos.
Dheghom : La Mère Terre, Fondement de la Création
La contrepartie de Dyeus Pəter est Dheghom, la « Mère Terre », une déesse incarnant la fertilité, la matérialité, et la stabilité. Son nom, dérivé de la racine dhegh- (« terre »), apparaît dans Pṛthivī (védique), Gaia (grecque), et Jörð (nordique). Dans la cosmogonie proto-aryenne, Dheghom est la partenaire du Père Ciel dans l’union primordiale, et sa séparation d’avec lui crée l’espace où le monde prend forme. Son rôle est passif mais essentiel, fournissant la substance physique du cosmos.
Dans le Rigveda (6.70.1), Pṛthivī est célébrée comme « la mère large et féconde, qui nourrit les êtres et soutient les mondes » (trad. Renou, 1956). Elle est souvent invoquée avec Dyauṣ, soulignant leur complémentarité : « Dyauṣ et Pṛthivī, père et mère, protégez-nous de tout mal » (Rigveda 6.70.6). Dans la Théogonie d’Hésiode, Gaia est la première entité issue du Chaos, « le siège éternel de tout ce qui existe » (Théogonie, v. 117). Elle donne naissance aux montagnes, aux mers, et à Ouranos, qu’elle épouse avant leur séparation violente. Dans la mythologie nordique, Jörð, mère de Thor, incarne la terre, bien que son rôle cosmogonique soit moins explicite en raison de la christianisation des sources (Edda de Snorri, Skáldskaparmál).
Jaan Puhvel (1987, Comparative Mythology) argue que Dheghom représente la troisième fonction trifonctionnelle – la fertilité et la production –, essentielle à la survie des communautés proto-aryenne. Les fouilles archéologiques de la culture Yamnaya renforcent cette hypothèse. À Vinogradovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), des figurines féminines en terre cuite, aux formes arrondies, ont été découvertes dans des contextes funéraires, possiblement des représentations de Dheghom ou de divinités associées à la fertilité. Ces figurines, bien que rares dans la steppe pontique, rappellent les statuettes de la fertilité des cultures néolithiques européennes, suggérant une continuité des cultes de la terre. À Mikhailovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), des autels en pierre entourés de cendres et de restes de céréales indiquent des offrandes à une divinité terrestre, peut-être en lien avec Dheghom.
Dʰéǵʰōm, dont Gaïa, la déesse grecque primordiale de la terre, découle, était associée à la fois à la mort et à la vie : les défunts sont issus d’elle et retourneront finalement vers elle, mais les récoltes poussent également sur son sol humide fertilisé par la pluie de Dyēus. Cela renvoie à une conception hiérarchique du statut de l’humanité par rapport aux dieux célestes, confirmée par l’utilisation répandue du terme « mortel » comme synonyme d’« humain » plutôt que d’« espèce vivante » dans les traditions indo-européennes. Dans un serment militaire hittite, on dit que la terre boit le sang des morts (« Ce n’est pas du vin, c’est ton sang, et comme la terre l’a avalé… »), comme dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle et dans le Mahabharata indien (« … la terre boira aujourd’hui le sang de leur roi »).
Perkʷunos : Le Dieu de l’Orage, Combattant du Chaos
Perkʷunos, le dieu de l’orage, est une figure dynamique de la cosmogonie proto-aryenne, associé au tonnerre, à la foudre, et au combat contre les forces du chaos. Son nom, dérivé de perk- (« frapper » ou « chêne »), est reconstitué à partir d’Indra (védique), Thor (nordique), Perun (slave), et Perkūnas (balte). Dans la cosmogonie, Perkʷunos joue un rôle crucial dans la guerre cosmique, où il triomphe des entités chaotiques, comme le serpent ou le dragon, pour établir l’ordre et libérer les eaux ou la fertilité.
Dans le Rigveda (1.32), Indra tue Vṛtra, le serpent qui retient les eaux cosmiques : « Il frappa le serpent dans sa tanière, libérant les eaux comme des vaches mugissantes » (Rigveda 1.32.1, trad. Renou, 1956). Ce combat, central à la cosmogonie védique, reflète la victoire de l’ordre sur le chaos. Dans la mythologie nordique, Thor affronte Jörmungandr, le serpent cosmique, dans un conflit eschatologique (Edda poétique, Hymiskviða). Dans les traditions slaves et baltes, Perun et Perkūnas, armés de foudre, combattent des adversaires similaires, comme Veles ou des démons chaotiques. Martin West (2007, Indo-European Poetry and Myth) note que le motif du dieu de l’orage combattant un serpent est un archétype proto-aryen, reflétant des préoccupations comme la maîtrise des eaux dans la steppe pontique.
Les fouilles de la culture Sintashta (2100-1800 av. J.-C.), successeure de Yamnaya, offrent des indices matériels. À Sintashta (Russie), des tombes contiennent des chars à deux roues, les plus anciens connus, associés à des armes (lances, haches) et à des restes de chevaux sacrifiés. Ces chars, datés d’environ 2000 av. J.-C., suggèrent un culte des divinités guerrières comme Perkʷunos, dont la foudre était peut-être symbolisée par la vitesse et la puissance des chars (Anthony, 2007). Les pétroglyphes de Tamgaly (Kazakhstan, 2000 av. J.-C.) montrent des figures brandissant des armes contre des créatures serpentiformes, possiblement des représentations de Perkʷunos en action.
L’association entre Perkʷunos et le chêne est attestée dans diverses expressions figées des langues balto-slaves : en lituanien Perkūno ąžuolas (le chêne de Perkūnas), en letton Pērkōna uōzuōls (le chêne de Pērkōn) ou en vieux russe Perunovŭ dubŭ (le chêne de Perun). En albanais, le mot utilisé pour désigner la foudre, considérée dans les croyances populaires comme le « feu du ciel », est shkreptimë, dérivé de shkrep qui signifie « clignoter, tonner, frapper (jusqu’à ce que des étincelles jaillissent) ». L’association entre la frappe, les pierres et le feu peut être liée à l’observation selon laquelle il est possible d’allumer un feu en frappant des pierres les unes contre les autres. Le fait de produire du feu par un coup — qui se reflète également dans la croyance selon laquelle le feu réside dans les chênes après que le dieu du tonnerre les a frappés — indique le potentiel de la foudre dans le mythe de la création. On dit que le dieu du tonnerre slave Perūn frappe fréquemment les chênes pour y mettre le feu, et que le dieu du tonnerre nordique Thor frappe ses ennemis, les géants, lorsqu’ils se cachent sous un chêne. Thor avait également au moins un chêne sacré qui lui était dédié. Selon le folklore biélorusse, Piarun a allumé le premier feu de l’histoire en frappant un arbre dans lequel se cachait le démon.
La cueillette du gui est un rituel celtique célèbre, décrit par Pline l’Ancien (Histoire naturelle, 1er siècle) et souvent associé aux druides.
Pline raconte que les druides coupaient le gui avec une serpe dorée, lors du sixième jour de la lune, sur un chêne sacré. Le gui était recueilli dans un linge blanc pour éviter qu’il ne touche le sol, et des sacrifices (souvent de taureaux) accompagnaient le rituel.
Le gui, qui pousse en parasite sur les arbres (notamment le chêne), était vu comme une plante céleste, un don des dieux. Sa nature “suspendue” entre ciel et terre en faisait un symbole de connexion cosmique, lié à l’arbre du monde. Le gui était associé à la fertilité, à la guérison et à la protection contre les forces maléfiques.
Le gui est parfois interprété comme un symbole de la foudre elle-même, car il apparaît sur les chênes, arbres sacrés de Taranis. Certains chercheurs (comme Jaan Puhvel) suggèrent que le gui pourrait représenter la “semence divine” ou l’énergie du dieu de la foudre, frappant l’arbre et lui conférant une aura sacrée. La rareté du gui sur les chênes renforçait son caractère miraculeux et divin.
Les druides, en tant qu’intermédiaires entre les mondes, utilisaient le gui dans des rituels pour invoquer la protection ou la bénédiction des dieux, peut-être Taranis, dont la foudre était un signe de puissance. Le rituel de la cueillette peut être vu comme une célébration de l’union entre le ciel (Taranis, foudre) et la terre (chêne, gui).
H₂éwsōs : La Déesse de l’Aurore, Symbole du Renouveau
Aurora, par Guercino, 1621-23 (fresque au plafond du Casino Ludovisi, Rome), un exemple classique de peinture illusionniste baroque.
H₂éwsōs, la déesse de l’aurore, incarne le renouveau cosmique et la lumière naissante. Son nom, dérivé de aus- (« briller »), apparaît dans Uṣas (védique), Éos (grecque), Aurora (romaine), et Aushrine (balte). Dans la cosmogonie PIE, H₂éwsōs symbolise le cycle du temps et la régénération, marquant la transition du chaos à l’ordre.
Dans le Rigveda (1.113), Uṣas est célébrée comme « l’aurore qui éveille les êtres, chassant l’obscurité avec ses chars dorés » (Rigveda 1.113.7). Elle est souvent décrite comme une jeune femme radieuse, renouvelant le monde chaque matin. Dans la Théogonie d’Hésiode, Éos naît de Thétis et ouvre les portes du jour (Théogonie, v. 752). West (2007) souligne que H₂éwsōs est une figure secondaire dans la cosmogonie mais essentielle pour sa symbolique temporelle, reliant la création à la cyclicité.
Les artefacts archéologiques liés à H₂éwsōs sont moins directs, mais des disques solaires en bronze découverts dans les kourganes de la culture Catacombes (2500-1950 av. J.-C.), comme à Novocherkassk (Russie), pourraient symboliser l’aurore ou le soleil levant. Ces disques, souvent placés près des défunts, suggèrent un culte des cycles cosmiques, cohérent avec le rôle de H₂éwsōs.
Les Jumeaux Divins
Les jumeaux divins sont un motif archaïque remontant probablement au proto-indo-européen (vers 4000-2500 av. J.-C.), avant la dispersion des peuples indo-européens. Ils apparaissent dans les textes les plus anciens, comme le Rig-Veda indien (vers 1500-1200 av. J.-C.) avec les Aśvins, ou dans les traditions orales des autres cultures indo-européennes, codifiées plus tard (par exemple, dans la mythologie grecque vers le VIIIe siècle av. J.-C. avec Homère).
On les trouve dans :
- Inde védique : Les Aśvins (Nasatya et Dasra).
- Grèce : Les Dioscures (Castor et Pollux).
- Rome : Romulus et Rémus (figures fondatrices, moins divines mais issues du même motif).
- Germanique : Les Alcis, mentionnés par Tacite dans Germania (Ier siècle apr. J.-C.), possiblement liés à des jumeaux divins.
- Baltique : Les Dieva dēli (fils du dieu céleste Dievs) dans les dainas lettones.
Les jumeaux divins sont généralement représentés comme de jeunes hommes, souvent beaux, vigoureux et associés à la jeunesse éternelle. Ils sont fréquemment décrits comme des cavaliers ou liés à des chevaux, symbolisant la vitesse et la mobilité. Ils incarnent une dualité, où l’un peut être plus lié à la sphère terrestre ou mortelle, et l’autre à la sphère divine ou céleste.
Les jumeaux divins sont les fils du dieu du ciel, renforçant leur lien avec la première fonction (souveraineté). Les Aśvins sont fils de Dyaus (ciel) ou de Vivasvat (soleil) dans les Védas. Les Dioscures sont fils de Zeus.
Ce lien les place dans une position subordonnée mais essentielle dans la hiérarchie divine, où ils servent d’intermédiaires entre les dieux souverains (comme Zeus ou Indra) et les humains.
Les Aśvins (Nasatya et Dasra) sont généralement considérés comme les fils de Dyaus Pitar (le dieu du ciel, équivalent indo-européen de Zeus ou Jupiter) et de Prithvi (la déesse de la Terre) dans les textes védiques comme le Rig-Veda. Dans certaines versions, leur mère est Saranyu, une déesse associée à l’aurore ou à la lumière, mariée au dieu solaire Vivasvant (ou Surya).
Les jumeaux Manu (« homme ») et Yemo (« jumeau ») sont des figures cosmogoniques majeures, reconstituées par Bruce Lincoln (1986). Manu, le prêtre ou roi, sacrifie Yemo, le premier mortel, pour créer le cosmos. Ce motif est attesté dans :
- Le Rigveda (10.90) : Purusha, lié à Yemo, est sacrifié, son corps formant le cosmos et les classes sociales.
- L’Edda de Snorri : Ymir, équivalent de Yemo, est tué par Odin, Vili et Vé.
- L’Avesta : Yima, le premier roi, est associé à Yemo, bien que le sacrifice soit atténué.
- La mythologie romaine : Romulus tue Remus, fondant Rome dans un écho du sacrifice.
Romulus et Rémus sont les fils de Mars (dieu de la guerre, équivalent d’Arès) et de Rhea Silvia, une vestale et princesse de la lignée d’Albe. Mars, en tant que divinité guerrière et parfois associée au ciel dans son aspect de protecteur, joue le rôle du père divin.
Louve capitoline, Rome
Les jumeaux divins sont des protecteurs des mortels, intervenant dans des situations de danger, de maladie ou de détresse.
Associés à la troisième fonction de la trifonctionnalité indo-européenne (fertilité, production, prospérité), les jumeaux divins favorisent l’abondance agricole, la fécondité humaine et animale, et la richesse matérielle.
Les jumeaux divins sont souvent liés à des récits de fondation (villes, royaumes, peuples), incarnant l’origine sacrée d’une communauté.
Leur dualité (divin/mortel, céleste/terrestre) reflète l’équilibre nécessaire entre les forces opposées du cosmos et de la société. Pour les Indo-Européens, cette dualité rassure sur la stabilité du cosmos et légitime la structure sociale hiérarchique (trifonctionnalité), où chaque classe (prêtres, guerriers, producteurs) a un rôle complémentaire.
Les jumeaux divins ne sont pas des dieux suprêmes, mais leur polyvalence (guérison, protection, fertilité, fondation) les rend indispensables pour répondre aux besoins variés des sociétés indo-européennes, qu’il s’agisse de survie physique (santé, nourriture) ou spirituelle (connexion avec le divin).
Partie 3 : Héritages et Variations dans les Traditions Indo-Européennes
La cosmogonie proto-aryenne, avec ses récits de création par séparation, sacrifice et combat, a servi de matrice pour les mythologies des cultures indo-européennes, mais chaque tradition a adapté ces motifs à son contexte historique, géographique et culturel. La méthode comparative, qui identifie des parallèles structurels et linguistiques, révèle des continuités frappantes, tandis que les découvertes archéologiques, telles que les kourganes, stèles, autels, et pétroglyphes, ancrent ces croyances dans des pratiques rituelles. Cette section examine les variations régionales, en mettant en évidence les textes, les artefacts, et les contextes spécifiques.
La Tradition Védique : Une Fidélité aux Motifs Proto-Aryens
La mythologie védique, préservée dans le Rigveda (composé il y a 3200 ans en Inde du nord-ouest), est l’une des sources les plus riches pour la cosmogonie proto-aryenne. Les Indo-Aryens, descendants des Proto-Aryens via les migrations des steppes (attestées par la culture Andronovo, 2000-1200 av. J.-C.), ont conservé des motifs fondamentaux avec une clarté remarquable. Le Rigveda (10.129, Nasadiya Sukta) décrit le chaos primordial : « Il n’y avait ni l’être ni le non-être alors, ni espace aérien, ni ciel au-delà » (Rigveda 10.129.1, trad. Louis Renou, 1956, Hymnes spéculatifs du Veda). Ce vide initial, suivi de la séparation de Dyauṣ (ciel) et Pṛthivī (terre), reflète le couple Dyeus Pəter/Dheghom proto-aryen.
Migrations aryennes
Le sacrifice du géant primordial est central dans le Rigveda (10.90, Purusha Sukta) : « Purusha, l’homme cosmique, fut sacrifié par les dieux. De son esprit fut fait la lune, de son œil le soleil, de sa bouche Indra et Agni » (Rigveda 10.90.13). Ce démembrement crée le cosmos et les classes sociales (brahmanes, kshatriyas, vaishyas, shudras), illustrant la théorie trifonctionnelle de Georges Dumézil (1958, L’Idéologie tripartie des Indo-Européens), où la société reflète l’ordre cosmique. Bruce Lincoln (1986, Myth, Cosmos, and Society) lie Purusha à Yemo, le jumeau sacrifié par Manu, un motif proto-aryen fondamental.
La guerre cosmique est incarnée par le combat d’Indra contre Vṛtra : « Il frappa le serpent dans sa tanière, libérant les eaux comme des vaches mugissantes » (Rigveda 1.32.1). Indra, équivalent de Perkʷunos, rétablit l’ordre en libérant les eaux, un acte qui évoque la maîtrise des ressources dans les plaines indo-gangétiques. Les fouilles de la culture du cimetière H (1500-1300 av. J.-C.) à Harappa (Pakistan), influencée par les Indo-Aryens, ont révélé des autels en brique et des restes d’animaux sacrifiés, possiblement liés à des rituels en l’honneur d’Indra ou de divinités similaires (Kenoyer, 1998, Ancient Cities of the Indus Valley Civilization).
La Tradition Grecque : Une Synthèse proto-aryenne et Méditerranéenne
La mythologie grecque, attestée dans la Théogonie d’Hésiode (8e siècle av. J.-C.), adapte les motifs proto-aryens à un contexte méditerranéen, intégrant des influences mésopotamiennes et anatoliennes. Les Grecs, descendants des Proto-Aryens via les migrations mycéniennes (1600-1100 av. J.-C.), conservent des traces de la cosmogonie proto-aryenne, bien que transformées par leur environnement culturel. Le Chaos de la Théogonie – « D’abord fut Chaos, puis Gaia au large sein » (Théogonie, v. 116-117, trad. Paul Mazon, 1928) – évoque le vide primordial proto-aryen, mais il est personnifié comme une entité, reflétant des influences babyloniennes (Enuma Elish).
La séparation ciel-terre est incarnée par Ouranos (Dyeus Pəter) et Gaia (Dheghom), séparés par Cronos : « Cronos, armé d’une faucille, trancha les organes d’Ouranos » (Théogonie, v. 178-180). Ce conflit violent, absent du Rigveda mais présent dans les mythes hittites (Chanson de Kumarbi, 14e siècle av. J.-C.), suggère une variation proto-aryenne. La guerre cosmique est illustrée par le combat de Zeus contre Typhon : « Zeus lança ses éclairs, et Typhon, frappé, s’effondra sous la terre » (Théogonie, v. 853-856). Zeus, héritier de Perkʷunos, rétablit l’ordre olympien, un écho du combat d’Indra contre Vṛtra.
Zeus affrontant Typhon
Les fouilles de Mycènes (Grèce, 1600-1100 av. J.-C.) ont révélé des tablettes en linéaire B mentionnant Zeus (di-we dans les tablettes de Knossos, 1400 av. J.-C.), confirmant son ancienneté. Les sanctuaires en plein air, comme celui de l’acropole de Mycènes, contiennent des autels et des offrandes (céramiques, ossements), possiblement liés à des rituels cosmogoniques (Chadwick, 1976, The Mycenaean World). Les fresques mycéniennes montrant des chars et des figures divines évoquent des cultes guerriers, cohérents avec Perkʷunos.
La Tradition Nordique : Une Réinterprétation Tardive
Les mythologies nordiques, préservées dans l’Edda de Snorri (13e siècle) et l’Edda poétique (9e-11e siècles), reflètent des motifs proto-aryens malgré leur rédaction tardive et l’influence chrétienne. Les Germains scandinaves, descendants des Proto-Aryens via la culture de la céramique cordée (il y a entre 4900-4350 ans), conservent des éléments cosmogoniques dans un contexte nord-européen. Ginnungagap, l’abîme primordial, est décrit comme « un espace vide où il n’y avait ni sable, ni mer, ni vagues froides » (Gylfaginning, ch. 4, trad. François-Xavier Dillmann, 1991), un écho du chaos proto-aryen.
Le sacrifice du géant primordial est incarné par Ymir, tué par Odin, Vili et Vé : « De son sang ils firent les mers, de sa chair la terre, de son crâne le ciel » (Gylfaginning, ch. 8). Ymir, équivalent de Yemo, reflète le motif proto-aryen du démembrement. La guerre cosmique est représentée par le combat de Thor contre Jörmungandr, le serpent cosmique (Hymiskviða). Thor, héritier de Perkʷunos, incarne la force guerrière, tandis qu’Odin, lié à Dyeus Pəter, supervise l’ordre.
Les fouilles de Gamla Uppsala (Suède, 5e-8e siècles) ont révélé un site rituel avec des tumulus et des restes d’animaux sacrifiés, notamment des chevaux, possiblement en l’honneur de Thor ou Odin. Les pétroglyphes de Bohuslän (Suède, 1500-500 av. J.-C.), montrant des figures brandissant des marteaux, évoquent Thor et la guerre cosmique (Glob, 1969, The Bog People).
La Tradition Iranienne : Une Reformulation Zoroastrienne
La mythologie iranienne, attestée dans l’Avesta (composé il y a entre 3000 et 2600 ans), adapte les motifs proto-aryens à un cadre dualiste sous l’influence des réformes zoroastriennes. Les Indo-Iraniens, proches des Indo-Aryens, descendent des Proto-Aryens via la culture Andronovo. Le chaos primordial est moins explicite, mais la séparation ciel-terre est implicite dans la relation entre Ahura Mazda (lié à Dyeus Pəter) et la terre. Le sacrifice est atténué : Yima, équivalent de Yemo, est le premier roi mais n’est pas sacrifié (Yasna 9.4).
La guerre cosmique est représentée par le combat de Tishtrya contre Apaosha, un démon de la sécheresse (Yasht 8.20). Tishtrya, héritier de Perkʷunos, libère les eaux, un écho du combat d’Indra. Les fouilles de Gonur Tepe (Turkménistan, 2400-1600 av. J.-C.), un site de la culture bactro-margienne influencé par les Indo-Iraniens, ont révélé des autels en brique et des sceaux montrant des combats mythiques, possiblement liés à Tishtrya (Sarianidi, 1998, Margiana and Protozoroastrism).
Les Traditions Celtique, Balte et Slave : Des Fragments proto-aryens
Les traditions celtiques, baltes et slaves, moins documentées en raison de leur transmission orale, conservent des fragments de la cosmogonie proto-aryenne. Chez les Celtes, le Lebor Gabála Érenn (Irlande, 11e siècle) décrit l’invasion de l’Irlande par des dieux, possiblement une réinterprétation de la séparation ciel-terre. Lugh, dieu guerrier, évoque Perkʷunos.
Dans la mythologie balte, Perkūnas, dieu de l’orage, combat un serpent, un écho de la guerre cosmique. Les sanctuaires de la rivière Nemunas (Lituanie, 1000 av. J.-C.) contiennent des offrandes (armes, bijoux), liées à Perkūnas (Gimbutas, 1963, The Balts). Chez les Slaves, Perun combat Veles, un dieu chthonien. Les fouilles de Novgorod (Russie, 9e-10e siècles) ont révélé des idoles en bois de Perun, confirmant son rôle (Sedov, 1982, Eastern Slavs in the 6th-13th Centuries).
Les traditions indo-européennes, de l’Inde védique à la Scandinavie nordique, conservent des traces de la cosmogonie PIE, adaptées à des contextes régionaux. Les motifs de chaos, séparation, sacrifice, et guerre cosmique, incarnés par Dyeus Pəter, Dheghom, Perkʷunos, et Manu/Yemo, se retrouvent dans les textes et les artefacts, des autels de Harappa aux tumulus de Gamla Uppsala. Ces héritages témoignent de la profondeur et de la flexibilité des croyances PIE.
Synthèse : L’Unité et la Diversité de la Cosmogonie proto-aryenne
La cosmogonie proto-aryenne, bien qu’issue d’une culture sans écriture ayant vécu il y a entre 6500 et 4500 ans dans la steppe pontique (actuelle Ukraine et sud de la Russie), offre une vision cohérente et dynamique de l’origine du cosmos, des divinités, et des sociétés humaines. Reconstituée par la méthode comparative et enrichie par les découvertes archéologiques, cette cosmogonie révèle une trame narrative où le chaos primordial cède la place à un ordre structuré par des actes de séparation, de sacrifice, et de combat. Les divinités, telles que Dyeus Pəter (Père Ciel), Dheghom (Mère Terre), Perkʷunos (dieu de l’orage), H₂éwsōs (déesse de l’aurore), et les jumeaux Manu/Yemo, incarnent les forces cosmiques et sociales qui façonnent l’univers. Ces motifs et figures se retrouvent, adaptés et transformés, dans les traditions indo-européennes ultérieures, des hymnes védiques aux récits nordiques, grecs, iraniens, celtes, baltes, et slaves.
Synthèse des Motifs Cosmogoniques : Une Vision Intégrée
La cosmogonie proto-aryenne repose sur une séquence narrative où l’univers émerge d’un processus dynamique et conflictuel. Le chaos primordial, un état d’indifférenciation, est décrit dans le Rigveda (10.129) comme un vide où « il n’y avait ni l’être ni le non-être » (Rigveda 10.129.1, trad. Louis Renou, 1956, Hymnes spéculatifs du Veda). Ce motif, repris dans Ginnungagap nordique (Edda de Snorri, Gylfaginning, ch. 4) et le Chaos grec (Théogonie d’Hésiode, v. 116), reflète une vision proto-aryenne où le cosmos naît par différenciation. Bruce Lincoln (1986, Myth, Cosmos, and Society) soutient que ce chaos n’est pas un néant absolu mais un réservoir de potentialité, contenant les germes de l’ordre.
La séparation ciel-terre, incarnée par Dyeus Pəter et Dheghom, marque le premier acte structurant. Dans le Rigveda (6.70.1), Dyauṣ et Pṛthivī forment un couple cosmique, tandis que dans la Théogonie (v. 176-180), Ouranos et Gaia sont séparés par Cronos. Cette séparation, souvent violente, crée l’espace cosmique, un concept renforcé par les parallèles linguistiques (dyew- pour ciel, dhegh- pour terre) analysés par Émile Benveniste (1969, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes). Les stèles de Kernosovka (Ukraine, il y a 5000 ans), ornées de motifs solaires, et les offrandes de chevaux à Repin (Russie, il y a 5200 ans) suggèrent des rituels célébrant cette division, liant le ciel à l’autorité divine.
Le sacrifice du géant primordial, reconstitué par Lincoln (1986) comme Manu sacrifiant Yemo, est un pivot narratif. Dans le Rigveda (10.90), Purusha est démembré pour créer le cosmos et les classes sociales : « De son œil fut fait le soleil, de sa bouche Indra et Agni » (Rigveda 10.90.13). Ce motif, repris avec Ymir dans l’Edda de Snorri (Gylfaginning, ch. 8) et Yima dans l’Avesta (Yasna 9.4), établit l’ordre cosmique et social, reflétant la théorie trifonctionnelle de Georges Dumézil (1958, L’Idéologie tripartie des Indo-Européens). Les autels de Mikhailovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), avec des ossements de bœufs et de chevaux, et les stèles anthropomorphes de Novoalexandrovka (Ukraine, 3100 av. J.-C.) évoquent des rituels sacrificiels liés à ce mythe.
La guerre cosmique, où Perkʷunos triomphe du chaos, est illustrée par Indra contre Vṛtra (Rigveda 1.32.1), Zeus contre Typhon (Théogonie, v. 853-856), et Thor contre Jörmungandr (Edda poétique, Hymiskviða). Martin West (2007, Indo-European Poetry and Myth) souligne que le serpent ou dragon symbolise les forces chaotiques, souvent associées aux eaux ou à la sécheresse. Les pétroglyphes de Tamgaly (Kazakhstan, 2000 av. J.-C.), montrant des combats contre des créatures serpentiformes, et les chars de Sintashta (Russie, 2100-1800 av. J.-C.) suggèrent des cultes guerriers liés à Perkʷunos.
Les Divinités : Une Structure Fonctionnelle
Les divinités proto-aryennes forment un panthéon structuré, où chaque figure incarne une fonction cosmique et sociale. Dyeus Pəter, le Père Ciel, représente la souveraineté et la lumière, comme en témoignent Zeus, Jupiter, Dyauṣ, et les stèles solaires de Kernosovka. Dheghom, la Mère Terre, incarne la fertilité, représentée par Pṛthivī, Gaia, Jörð, et les figurines de Vinogradovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.). Perkʷunos, le dieu de l’orage, est le champion de la guerre cosmique, relié à Indra, Thor, Perun, et aux chars de Sintashta. H₂éwsōs, l’aurore, symbolise le renouveau, avec Uṣas, Éos, et les disques solaires de Novocherkassk (Russie, 2500 av. J.-C.). Les jumeaux Manu/Yemo relient la création à la société, comme dans les récits de Purusha, Ymir, et Romulus/Remus.
Swastika, mosaïque romaine
Dumézil (1973, Le Destin du guerrier) argue que ces divinités reflètent la tripartition proto-aryenne : souveraineté (Dyeus Pəter), guerre (Perkʷunos), et fertilité (Dheghom). Les kourganes de la culture Yamnaya, avec leurs offrandes différenciées (armes pour les guerriers, céréales pour la fertilité), confirment cette structure. Les fouilles de Sintashta, avec leurs chars et autels, suggèrent des rituels intégrant ces trois fonctions, liant le cosmos à la société.
Les Héritages : Une Diversité Cohérente
Les traditions indo-européennes adaptent la cosmogonie proto-aryenne à leurs contextes. Le Rigveda conserve une fidélité remarquable, avec Purusha et Indra incarnant les motifs de sacrifice et de guerre. Les autels de Harappa (Pakistan, il y a 3500-3300 ans) reflètent ces rituels.
Harappa
La Théogonie grecque intègre des influences mésopotamiennes, mais Ouranos, Gaia, et Zeus reprennent les rôles proto-aryens, soutenus par les tablettes mycéniennes de Knossos (il y a 3400 ans). Les Eddas nordiques, malgré la christianisation, préservent Ymir et Thor, avec des parallèles dans les tumulus de Gamla Uppsala (Suède, 5e-8e siècles). L’Avesta iranien reformule les motifs dans un cadre dualiste, avec Yima et Tishtrya, liés aux autels de Gonur Tepe (Turkménistan, il y a entre 4400-3600 ans).
Partie 4 : La Philosophie Fondamentale de la Cosmogonie Proto-Ayrenne : Ordre, Devoir et Moralité
Philosophiquement, l’ordre cosmique proto-aryen est hiérarchique et dynamique. Il n’est pas statique mais nécessite une maintenance constante par des actes divins et humains. Cette vision implique que l’univers est fragile, menacé par le retour du chaos, et que l’ordre (ṛta en védique, ma’at dans d’autres contextes) dépend de l’harmonie entre les sphères divine, humaine, et naturelle.
Le Rôle de l’Individu : Devoir et Participation à l’Ordre
Pour l’individu proto-aryen, la cosmogonie impose un devoir clair : participer à l’ordre cosmique en respectant sa place dans la hiérarchie et en accomplissant des rituels pour maintenir l’harmonie. Les mythes suggèrent que chaque personne, en fonction de sa fonction sociale, contribue à l’équilibre du cosmos. Georges Dumézil (1973, Le Destin du guerrier) décrit la société PIE comme divisée en trois fonctions :
- Souveraineté : prêtres et chefs, responsables de la justice et des rituels.
- Guerre : guerriers, chargés de protéger la communauté.
- Fertilité : agriculteurs et artisans, assurant la subsistance.
Ce système est illustré dans le Purusha Sukta (Rigveda 10.90.12), où les classes sociales naissent du corps de Purusha, assignant à chaque individu un rôle spécifique. Dans la pratique, cela signifie que l’individu doit agir selon sa fonction : le prêtre conduit les sacrifices, le guerrier combat les ennemis, et le producteur cultive la terre. Cette division est reflétée dans les kourganes Yamnaya, comme à Repin (Russie, il y a 5200 ans), où les tombes masculines contiennent des armes (guerriers), des objets rituels (prêtres), ou des outils agricoles (producteurs).
Les rituels, en particulier les sacrifices, sont un devoir central pour l’individu. Dans le Rigveda (1.1), Agni, dieu du feu, est le médiateur des offrandes : « Ô Agni, toi qui portes les dons aux dieux, accepte notre sacrifice » (Rigveda 1.1.1). Ces actes maintiennent l’ordre cosmique en renforçant le lien entre humains et divinités. À Mikhailovka (Ukraine, 3000 av. J.-C.), les autels en pierre entourés de restes d’animaux (bœufs, chevaux) indiquent des sacrifices réguliers, probablement effectués par des prêtres pour apaiser Dyeus Pəter ou Perkʷunos. David W. Anthony (2007, The Horse, the Wheel, and Language) note que les offrandes de chevaux, souvent retrouvées par paires, pourraient refléter le culte des jumeaux Manu/Yemo, liant l’individu à la cosmogonie.
Pour l’individu, le devoir implique aussi une responsabilité face au chaos. Les mythes de guerre cosmique, comme Indra contre Vṛtra ou Thor contre Jörmungandr, servent de modèles. Le guerrier proto-aryen, armé de haches ou de lances (comme celles trouvées à Sintashta, 2100-1800 av. J.-C.), devait combattre les ennemis, humains ou symboliques, pour protéger l’ordre. L’individu ordinaire, par ses contributions (agriculture, artisanat), soutient la communauté, qui elle-même reflète le cosmos. Cette vision est moins individualiste qu’interdépendante : chaque personne, par son rôle, participe à un équilibre plus large.
Les Rapports Sociaux : Une Hiérarchie Inspirée des Mythes
Les mythes proto-aryens organisent les rapports sociaux en légitimant une structure hiérarchique et fonctionnelle. La tripartition de Dumézil (1958) est au cœur de cette organisation. Le Purusha Sukta (Rigveda 10.90.12) établit que les brahmanes (prêtres) naissent de la bouche de Purusha, les kshatriyas (guerriers) des bras, les vaishyas (producteurs) des cuisses, et les shudras (serviteurs) des pieds. Cette hiérarchie, où les prêtres et guerriers dominent, reflète une société où l’ordre cosmique est projeté sur les relations humaines.
Guerrier celte, 2 200 ans, Royaume-Uni
Dans la mythologie nordique, cette structure est implicite dans la création du monde à partir d’Ymir (Edda de Snorri, Gylfaginning, ch. 8), où Odin, chef des dieux, incarne la souveraineté, Thor la guerre, et Freyr la fertilité. Les fouilles de Gamla Uppsala (Suède, 5e-8e siècles) montrent des tumulus réservés aux élites, avec des armes (guerriers) et des objets rituels (prêtres), confirmant cette hiérarchie. Les pétroglyphes de Bohuslän (Suède, 1500-500 av. J.-C.), représentant des figures avec des marteaux (Thor) ou des symboles solaires (Odin), suggèrent que les rôles sociaux étaient célébrés dans l’art.
Les mythes légitiment aussi la coopération entre fonctions. Dans le Rigveda (3.38), Indra et les prêtres collaborent pour maintenir l’ordre : « Indra, fortifié par les chants des prêtres, triomphe du chaos. » Cette interdépendance est visible dans les kourganes Yamnaya, comme à Novoalexandrovka (Ukraine, 3100 av. J.-C.), où les tombes contiennent des objets reflétant les trois fonctions : sceptres (souveraineté), haches (guerre), outils agricoles (fertilité). Martin West (2007, Indo-European Poetry and Myth) note que cette structure sociale, inspirée des mythes, favorise la stabilité en assignant à chaque groupe un rôle sacré.
Les rapports sociaux incluent aussi des obligations collectives. Les sacrifices, comme ceux décrits dans l’Avesta iranien (Yasna 8), où Tishtrya est honoré par des offrandes, impliquent la communauté entière. À Gonur Tepe (Turkménistan, 2400-1600 av. J.-C.), les autels en brique et les sceaux montrant des scènes sacrificielles suggèrent des rituels collectifs, renforçant la cohésion sociale. Cette organisation reflète une philosophie où la société est un microcosme du cosmos, chaque individu et groupe contribuant à l’ordre global.
Le Système Moral : Harmonie, Devoir, et Absence de Bien/Mal Absolu
La cosmogonie proto-aryenne ne définit pas le bien et le mal comme des absolus, contrairement aux systèmes dualistes ultérieurs (par exemple, le zoroastrisme). Elle promeut plutôt une éthique de l’harmonie, où le comportement moral est jugé par sa conformité à l’ordre cosmique (ṛta). Lincoln (1986) explique que l’ṛta védique, un concept d’harmonie universelle, est maintenu par des actions divines et humaines. Dans le Rigveda (1.25.1), Varuna, dieu de l’ordre, punit ceux qui violent l’ṛta : « Varuna, gardien de la vérité, voit les actes des hommes. »
Varuna avec Varunani. Statue sculptée dans le basalte, VIIIe siècle, découverte au Karnataka. Exposé au musée du prince de Galles, à Bombay.
Le « bien » est donc l’adhésion à son rôle social et cosmique. Un prêtre qui accomplit des sacrifices, un guerrier qui protège la communauté, ou un agriculteur qui nourrit le groupe agit moralement en renforçant l’ordre. Le « mal » est l’opposition à cet ordre, incarnée par les forces du chaos (Vṛtra, Typhon). Cette éthique est pragmatique, centrée sur la responsabilité plutôt que sur des notions abstraites de moralité. Dans la Théogonie (v. 820-880), Zeus triomphe de Typhon pour préserver l’ordre olympien, un modèle pour les humains.
Les fouilles archéologiques reflètent cette éthique. À Sintashta (Russie, 2100-1800 av. J.-C.), les tombes contenant des chars et des armes suggèrent que les guerriers étaient honorés pour leur rôle dans la défense de l’ordre. À Harappa (Pakistan, 1500-1300 av. J.-C.), les autels en brique indiquent des sacrifices collectifs, soulignant l’importance communautaire de l’ṛta. Dans les traditions baltes, Perkūnas, dieu de l’orage, punit les transgresseurs, comme en témoignent les offrandes d’armes dans les sanctuaires de Nemunas (Lituanie, 1000 av. J.-C.).
Cette absence de dualisme bien/mal absolu distingue la philosophie PIE. Puhvel (1987) note que l’éthique proto-aryenne valorise l’équilibre et la coopération, où chaque individu, par ses actions, contribue à empêcher le retour du chaos. Les mythes, en racontant des combats contre des serpents ou des sacrifices créateurs, rappellent aux individus leur devoir de maintenir cet équilibre.
Sources :
Partie 1 : Les Motifs Cosmogoniques – Chaos, Séparation, Sacrifice et Conflit
- Lincoln, B. (1986). Myth, Cosmos, and Society: Indo-European Themes of Creation and Destruction. Harvard University Press.
- Dumézil, G. (1958). L’Idéologie tripartie des Indo-Européens. Latomus.
- Puhvel, J. (1987). Comparative Mythology. Johns Hopkins University Press.
- West, M. L. (2007). Indo-European Poetry and Myth. Oxford University Press.
- Anthony, D. W. (2007). The Horse, the Wheel, and Language. Princeton University Press.
- Rigveda, trad. Renou, L. (1956). Hymnes spéculatifs du Veda. Gallimard.
- Hésiode, Théogonie, trad. Mazon, P. (1928). Les Belles Lettres.
- Edda de Snorri, trad. Dillmann, F.-X. (1991). Gallimard.
- Hoffner, H. A. (1998). Hittite Myths. Scholars Press.
- Benveniste, É. (1969). Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Minuit.
Partie 2 : Les Divinités et Leurs Rôles dans la Cosmogonie
- Lincoln, B. (1986). Myth, Cosmos, and Society: Indo-European Themes of Creation and Destruction. Harvard University Press.
- Dumézil, G. (1973). Le Destin du guerrier. PUF.
- Puhvel, J. (1987). Comparative Mythology. Johns Hopkins University Press.
- West, M. L. (2007). Indo-European Poetry and Myth. Oxford University Press.
- Anthony, D. W. (2007). The Horse, the Wheel, and Language. Princeton University Press.
- Rigveda, trad. Renou, L. (1956). Hymnes spéculatifs du Veda. Gallimard.
- Hésiode, Théogonie, trad. Mazon, P. (1928). Les Belles Lettres.
- Edda de Snorri, trad. Dillmann, F.-X. (1991). Gallimard.
- Benveniste, É. (1969). Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Minuit.
Partie 3 : Héritages et Variations dans les Traditions Indo-Européennes
- Lincoln, B. (1986). Myth, Cosmos, and Society: Indo-European Themes of Creation and Destruction. Harvard University Press.
- Dumézil, G. (1958). L’Idéologie tripartie des Indo-Européens. Latomus.
- Puhvel, J. (1987). Comparative Mythology. Johns Hopkins University Press.
- West, M. L. (2007). Indo-European Poetry and Myth. Oxford University Press.
- Anthony, D. W. (2007). The Horse, the Wheel, and Language. Princeton University Press.
- Rigveda, trad. Renou, L. (1956). Hymnes spéculatifs du Veda. Gallimard.
- Hésiode, Théogonie, trad. Mazon, P. (1928). Les Belles Lettres.
- Edda de Snorri, trad. Dillmann, F.-X. (1991). Gallimard.
- Kenoyer, J. M. (1998). Ancient Cities of the Indus Valley Civilization. Oxford University Press.
- Chadwick, J. (1976). The Mycenaean World. Cambridge University Press.
- Glob, P. V. (1969). The Bog People. Faber & Faber.
- Sarianidi, V. (1998). Margiana and Protozoroastrism. Kapon Editions.
- Parker Pearson, M. (2012). Stonehenge. Simon & Schuster.
- Gimbutas, M. (1963). The Balts. Thames & Hudson.
- Sedov, V. V. (1982). Eastern Slavs in the 6th-13th Centuries. Nauka.
Partie 4 : la Philosophie Fondamentale proto-aryenne
- Lincoln, B. (1986). Myth, Cosmos, and Society: Indo-European Themes of Creation and Destruction. Harvard University Press.
- Dumézil, G. (1958). L’Idéologie tripartie des Indo-Européens. Latomus.
- Dumézil, G. (1973). Le Destin du guerrier. PUF.
- Puhvel, J. (1987). Comparative Mythology. Johns Hopkins University Press.
- West, M. L. (2007). Indo-European Poetry and Myth. Oxford University Press.
- Anthony, D. W. (2007). The Horse, the Wheel, and Language. Princeton University Press.
- Rigveda, trad. Renou, L. (1956). Hymnes spéculatifs du Veda. Gallimard.
- Hésiode, Théogonie, trad. Mazon, P. (1928). Les Belles Lettres.
- Edda de Snorri, trad. Dillmann, F.-X. (1991). Gallimard.
- Benveniste, É. (1969). Le Vocabulaire des institutions indo-européennes. Minuit.
- Kenoyer, J. M. (1998). Ancient Cities of the Indus Valley Civilization. Oxford University Press.
- Sarianidi, V. (1998). Margiana and Protozoroastrism. Kapon Editions.